Le cimetière de Chacarita est le plus grand de Buenos Aires et l’un des plus grands du monde. Situé en plein milieu du quartier de Chacarita, ce cimetière de 95 hectares, qui fut à l’origine le cimetière de l’Ouest, concentre de nombreuses histoires, mythes et légendes de familles portègnes et des quatre coins du monde.

Le cimetière aujourd’hui

A travers ses allées, qui deviennent parfois de véritables avenues, on peut admirer des niches funéraires. Elles rappellent des symboles et des coutumes d’une autre époque. «Jusque dans les années 1960, des familles venaient passer la journée au cimetière pour visiter leurs morts. Ils s’asseyaient à l’intérieur des caveaux, buvaient du maté, nettoyaient le lieu, changeaient les fleurs.

C’était un moyen de se retrouver mais aussi de faire vivre le cimetière » raconte Hernan Santiago Vizzari, investigateur historique du lieu et auteur d’un livre sur le cimetière. De nombreux symboles recouvrent les murs des caveaux, à l’instar du visage de Méduse sur le panthéon de la police fédérale. Ce genre de représentations cherchaient d’une certaine façon à poser une limite pour ceux qui s’approchaient des tombes avec de mauvaises intentions.

Les célébrités enterrées

De nombreuses personnalités y sont enterrées : Luis Sandrini, José Amalfitani, célèbre président du Vélez, club de football reconnu en Argentine et surtout Carlos Gardel. Une statue rend hommage au chanteur de tango, et les visiteurs laissent des fleurs devant les plaques commémoratives.

Plus récemment, c’est Gustavo Cerati qui a rejoint le panthéon des grands artistes enterrés à la Chacarita.

Malgré tout cela, le cimetière est boudé par les guides touristiques et par les visiteurs. Qui préfèrent le cimetière de Recoleta. Chacarita manque de moyens. Beaucoup de caveaux sont abandonnés, le carrelage défoncé, les vitres cassées. C’est peut être aussi parce que le site n’est pas au centre des préoccupations de la municipalité. Le cimetière de Chacarita reste néanmoins le témoin d’une époque. Et conserve le souvenir de familles entières qui un jour ont foulé le sol argentin.

L’histoire du cimetière

Jusqu’en 1767, date à laquelle les pères Jésuites se font expulser, le terrain leur appartenait et contenait simplement une grange. D’où son nom, Chacarita vient du Quechua “chacara” qui signifie grange. L’Etat en fait ensuite un collège.

C’est en 1871, à peine sorti du choléra, la ville est frappée par une épidémie de fièvre jaune que la Chacarita devient un cimetière.

Les cimetières sont donc déjà saturés. Un premier terrain de 5 hectares : le Parc des Andes est alors aménagé pour accueillir le “Vieux Cimetière”. L’épidémie était terrible, on parle de centaines de personnes décimées chaque jour et ce nombre aurait atteint jusqu’à 564 par jour selon les témoignages de l’époque. Le spectacle était affreux. Devant l’ampleur du mal, une locomotive appelée “la Porteña” était utilisée pour acheminer les corps jusqu’au cimetière et des obsèques étaient célébrées du soir au matin. La réputation du cimetière de Chacarita était donc funeste à l’époque. À tel point que l’on finit par baptiser le train tiré par la Porteña le “Train de la mort”.

Après l’épidémie, le cimetière est fermé pendant plus de 10 ans. En effet, les inhumations datant de l’épidémie, faites dans l’urgence et dans des conditions loin d’être optimales envoyaient une atmosphère et des odeurs insupportables pour le voisinage.

Le cimetière rouvre finalement après avoir été arrangé et l’activité reprend dans une nouvelle partie appelé la Nouvelle Chacarita. Il prendra son nom actuel de Cimetière de Chacarita en 1949.

Une histoire troublante 

Les cas de profanation, sans être courants, frappent parfois le cimetière. Le plus souvent, ces pilleurs de tombes volent des plaques commémoratives de la tombe de Carlos Gardel. En effet, ces plaques ont une très grande valeur pour les collectionneurs, et amateurs de tango. Toutefois, c’est un événement un peu plus troublant que nous allons vous révéler ici.

En juillet 1987, le parti justicialiste reçoit un message anonyme annonçant le vol des mains, du chapeau militaire et de l’épée du Général Perón. Et exigent 8 millions de dollars en échange de leur restitution.

Une vérification est immédiatement effectuée. Et effectivement la tombe du Général Perón est retrouvée ouverte, et le corps privé de plusieurs objets et surtout de ses mains.

Les raisons de cette profanation restent inconnues à ce jour, mais l’affaire est très mystérieuse. En effet, après un refus du parti de payer la rançon demandée, une enquête criminelle est ouverte. En vain.

Pire, plusieurs enquêteurs, y compris le juge chargé de l’affaire, Jaime Suau, ont été semble-t-il assassinés. Une rumeur dirait même que les services secrets argentins auraient pu participer à cette profanation. En effet, il semble qu’une clé ait été utilisée pour ouvrir la porte du caveau Perón. Clé que seul des personnes hautement placées pourraient détenir.

L’affaire n’a jamais été résolue. Et le corps de Perón a finalement, été transféré au manoir de San Vincente suite à cet incident qui reste, aujourd’hui encore, un mystère.

Le Général Perón (avec ses mains) – wikipedia

Les théories

La symbolique autour de ce vol des mains du Général est cependant très forte et les théories vont bon train. Dans leur ouvrage “Perón, l’autre mort” (Perón, la otra muerte, 1987), les écrivains Damian Nabot et David Cox prétendent que ce vol serait le fait de l’ordre maçonnique dont faisait partie Perón.

Plus symboliquement, l’anthropologue argentine Rosana Guber explique l’importance des mains dans la symbolique du pouvoir et de l’autorité de Perón. Ce vol serait plus qu’un simple crime mais aurait un sens culturel bien plus profond et voudrait marquer la fin de la cruelle dictature militaire qu’a vécu le pays après la mort du Général, et le début d’une nouvelle ère de démocratie mais cette fois dissociée du péronisme.

Vous comprenez, à présent, que ce cimetière est bien un symbole de la culture argentine. Que ce soit Carlos Gardel, Cerati ou cette sordide histoire de profanation, les morts ici, ont tous eu quelque chose à raconter et méritent que nous nous y attardions, au moins le temps d’un instant. 

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